Alors que l’Allemagne évoque un projet sans la France, Dassault Aviation réplique sèchement et ravive les tensions européennes.
Le ciel européen se prépare à une bataille qui ne se joue pas seulement dans les airs. Derrière les sourires diplomatiques, le projet d’avion de combat du futur grince déjà des dents. Les ambitions s’entrechoquent, les industriels se disputent la place du chef d’orchestre. Et au cœur de la tempête, un nom revient sans cesse : Dassault Aviation.
Dassault Aviation face au casse-tête du SCAF
Né en 2017, le Système de combat aérien du futur, le SCAF, avait des airs de pacte ambitieux. La France et l’Allemagne ont lancé la machine, vite rejointes par l’Espagne, avec l’envie d’avancer ensemble. Sur la table, un chantier vaste : un nouvel avion de combat, une motorisation dédiée, un cloud de combat, des drones compagnons. Sur le papier, tout semblait clair, presque élégant. Et dès le départ, Dassault Aviation a hérité de la pièce maîtresse : concevoir l’avion lui-même, le cœur battant du programme. Mais voilà, la gouvernance partagée avec Airbus ne se passe pas comme prévu.
Depuis des mois, Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, réclame un modèle clair. Pas question d’avancer à l’aveugle dans une cogestion où chacun veut sa part du gâteau. Le constructeur français se souvient du succès du démonstrateur nEUROn, mené main dans la main avec plusieurs industriels européens. Chacun avait sa mission, selon ses compétences, pas selon son drapeau. Résultat : un appareil livré dans les délais, à un coût maîtrisé, et des performances qui ont dépassé les attentes. Un modèle qui tranche avec la méthode actuelle, jugée trop lourde, trop lente, trop politique.
L’Allemagne, elle, refuse de lâcher prise. Soutenue par Airbus et par l’Espagne, elle brandit la menace d’un blocage. Berlin veut garder le cadre fixé pour la phase actuelle du projet, au risque de braquer Paris. Le ministère allemand de la Défense n’a pas hésité à prévenir : faire des concessions à l’industrie française mettrait en danger la participation de ses propres industriels. Les discussions, censées faire avancer le projet, ressemblent de plus en plus à un bras de fer.
Un projet commun, des ambitions divergentes
Le contraste est saisissant. D’un côté, des discours politiques qui vantent l’importance de coopérer pour renforcer l’Europe de la défense. De l’autre, des industriels qui se méfient les uns des autres, chacun défendant son savoir-faire et sa survie. Dans ce climat tendu, les propos du ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, ont sonné comme un avertissement. Pour lui, pas question de traîner. Le SCAF doit avancer vite, faute de quoi l’Allemagne envisagera d’autres options, seule ou avec de nouveaux partenaires comme la Suède ou le Royaume-Uni.
Cette perspective inquiète Paris, qui ne veut pas voir la France écartée du projet. Le ministère des Armées a publié un communiqué rassurant, affirmant que la coopération avec l’Allemagne et l’Espagne restait intacte et que tout le monde se mobilisait pour préparer la phase suivante. Mais derrière ce langage officiel, le malaise est évident. Les divergences sur la gouvernance bloquent tout. Et dans les ateliers de Dassault Aviation, l’impatience grandit.
Éric Trappier l’a dit sans détour. L’entreprise sait faire des avions de combat seule, elle le prouve depuis plus de 70 ans. Le Rafale en est la démonstration. Et si la France devait avancer en dehors du SCAF, Dassault Aviation en aurait les moyens, avec le soutien d’un tissu d’entreprises partenaires comme Safran ou Thales. L’ombre d’un scénario « à la française » plane donc : un avion conçu en solo, à la manière du Rafale, mais dans un contexte européen où la division coûterait cher politiquement.
Le temps presse pour Dassault Aviation et ses partenaires
Au fond, le débat dépasse les querelles d’industriels. Il pose une question de fond : veut-on un projet agile, piloté par un maître d’œuvre clair, ou un mastodonte bureaucratique qui risque de s’enliser ? Les exemples passés parlent d’eux-mêmes.
L’Eurofighter, porté par Airbus, a traîné des chaînes : compromis politiques à répétition, coûts qui gonflent, calendrier qui s’étire. Face à lui, le Rafale raconte une autre histoire. Sous la houlette de Dassault Aviation, une gouvernance resserrée a livré un avion fiable, polyvalent, désormais vendu des Amériques à l’Asie.
Ce contraste met les nerfs à vif. Chaque retard grignote la crédibilité du programme en cours. Le monde s’échauffe, la compétition s’accélère, et l’Europe n’a pas vingt ans devant elle pour sortir un nouvel appareil. Si les discussions patinent, les partenaires chercheront ailleurs, ou traceront leur route seuls. Le message est simple : il faut décider, assumer un cap, et tenir les délais.
Pour l’heure, les discussions se poursuivent. Paris veut croire à une solution équilibrée, Berlin maintient la pression, Madrid observe. Mais à mesure que le temps passe, la fracture entre Airbus et Dassault Aviation s’élargit. L’avenir du SCAF est censé incarner l’Europe de la défense. Toutefois, elle dépendra de la capacité des partenaires à trouver un terrain d’entente. Ou à accepter qu’un projet commun puisse parfois nécessiter un leader unique.