La Chine surprend tout le monde en annonçant qu’elle tourne la page du « traitement spécial et différencié » à l’OMC.
Pékin lâche du lest, après des années à défendre ce filet de sécurité pensé pour les pays en développement. Le message est clair : elle veut jouer dans la cour des grands sans filet. Et ce n’est pas qu’un geste symbolique. C’est un mouvement qui peut changer la façon dont se fait le commerce mondial, au jour le jour.
Chine : la fin annoncée du traitement spécial et différencié
Le Premier ministre Li Qiang a choisi la tribune des Nations unies pour lâcher la bombe. La Chine, deuxième économie mondiale, se dit prête à abandonner le traitement spécial et différencié que l’OMC accorde aux pays en développement. L’annonce est tombée comme une réponse attendue aux pressions américaines et européennes. Depuis des années, Washington et Bruxelles réclament que Pékin cesse de se cacher derrière un privilège taillé pour des économies plus fragiles.
Ce statut particulier offrait des marges de manœuvre précieuses : plus de temps pour appliquer les engagements, la possibilité de garder des subventions, et même un accès simplifié aux marchés développés. Pour une puissance déjà incontournable, cela ressemblait de plus en plus à un décalage avec la réalité. La Banque mondiale classe la Chine parmi les pays à revenu intermédiaire supérieur, et le FMI la voit comme un moteur de l’économie mondiale. Mais à l’OMC, le jeu restait ouvert grâce à ce système d’auto-déclaration. Pékin pouvait se revendiquer en tant que pays en développement et profiter des avantages du statut de pays en développement.
Ce choix de renoncer est symbolique. Il ne change pas seulement la relation entre la Chine et l’OMC, il rebat aussi les cartes pour d’autres pays. La directrice générale de l’organisation, Ngozi Okonjo-Iweala, a salué une étape historique. Cette dernière est le fruit de longues négociations. Mais derrière les félicitations officielles, beaucoup s’interrogent sur la portée réelle de cette décision.
La Chine rebat les cartes à l’OMC
En sortant du cercle des bénéficiaires du traitement spécial et différencié, la Chine modifie l’équilibre des forces au sein de l’OMC. Pékin envoie un message : elle assume son rôle de grande puissance, mais veut aussi montrer qu’elle agit en « grand pays en développement responsable ». Derrière ces mots, il y a un calcul clair.
Renoncer à ce privilège ouvre un espace aux économies plus vulnérables, notamment en Afrique. Ces pays, souvent les moins entendus dans les négociations commerciales, voient s’alléger la pression face à un géant qui occupait jusqu’ici une place centrale dans le groupe des pays en développement. Sur les subventions à la pêche, par exemple, la Chine ne pourra plus réclamer de passe-droit. Dans les discussions sur l’agriculture et l’industrie, les voix africaines pourraient peser davantage.
Ce glissement est important, car il redonne de la légitimité à ceux qui vivent réellement les contraintes du développement. Pour Pékin, c’est aussi une manière de renforcer son image internationale. La Chine peut encore se définir comme pays en développement si elle le souhaite, mais le renoncement au statut de pays en développement à l’OMC marque un tournant politique. L’équilibre Sud-Sud, longtemps porté par la Chine, devra se réinventer. Certains partenaires craignent d’y perdre un allié puissant dans les batailles commerciales. D’autres y voient une chance de faire entendre leurs priorités sans l’ombre encombrante d’un géant.
Un geste stratégique plus qu’un sacrifice
Il faut bien l’avouer : la Chine ne sort pas les mains vides. Renoncer au traitement spécial et différencié est autant un geste diplomatique qu’une manœuvre calculée. Pékin veut montrer qu’elle n’a plus besoin de cette béquille pour peser. Elle affiche sa confiance dans sa capacité à rivaliser sur un pied d’égalité avec les grandes puissances.
Ce retrait ne supprime pas son droit à défendre ses intérêts ni sa capacité à influencer les règles du jeu. La Chine garde ses leviers : puissance industrielle, poids démographique, force de frappe commerciale. Mais en donnant l’image d’un pays prêt à assumer ses responsabilités, elle se place dans une posture plus respectable, presque magnanime. Les capitales occidentales y voient une victoire, mais c’est aussi une victoire pour Pékin : elle choisit quand et comment se délester de ce fardeau politique.
Reste à savoir si ce choix transformera réellement les discussions commerciales. Pour les pays en développement, le départ d’un géant ouvre des marges de manœuvre, mais aussi un vide stratégique. Certains pourraient regretter l’appui d’un poids lourd dans les négociations. D’autres profiteront de cette respiration pour pousser des revendications adaptées à leurs réalités.
Ce qui est sûr, c’est que l’OMC n’en sortira pas indemne. Le geste chinois confirme qu’elle reste un terrain de lutte d’influence autant qu’un lieu de règles communes. La Chine, en quittant le confort du statut de pays en développement, rappelle qu’elle n’a jamais cessé de jouer plusieurs rôles à la fois : puissance émergente, rival des États-Unis, mais aussi partenaire incontournable pour ceux qui espèrent rééquilibrer un système mondial souvent perçu comme injuste.