La grève à la carte bancaire fait sourire certains et intrigue beaucoup d’autres. Ce n’est pas une grève classique, avec pancartes et défilés, mais un geste quotidien qui change de sens. Sortir un billet froissé ou quelques pièces au lieu de sa carte devient une manière de protester. Et derrière ce choix, il y a une colère qui grandit contre les frais imposés par les banques.
Des restaurateurs en première ligne
Dans le Gard, Patrick Gimenez, patron de « La cale à bière », a pris le sujet de front. Il propose 10 % de réduction à ceux qui paient en liquide. Une façon de montrer à ses clients combien la carte lui coûte chaque année. Plus de 6 500 € envolés en frais bancaires, une somme énorme pour une petite structure. Avec cette initiative, il soutient le mouvement « Bloquons tout » sans fermer son établissement.
Entre le 1ᵉʳ et le 20 septembre, chaque addition réglée en espèces devient une petite victoire. Il ne cherche pas à provoquer un effondrement du système, mais à pointer du doigt une injustice. La grève à la carte bancaire qu’il encourage a aussi une valeur pédagogique. Les clients découvrent parfois avec surprise ce que cache le geste banal de « taper son code ». Derrière chaque paiement, une commission se glisse et ronge les marges des commerçants. En retour, certains clients apprécient la remise et jouent le jeu, d’autres restent fidèles à leur carte. Mais le débat, lui, s’installe dans les salles et sur les terrasses.
Un symbole plus qu’un séisme financier
Les appels circulent sur les réseaux : tracts numériques, hashtags et vidéos incitant à boycotter la carte. Certains prônent une abstinence totale de consommation le 10 septembre, d’autres veulent prolonger le mois entier. Un souffle de révolte qui rappelle l’appel lancé par Éric Cantona en 2010. À l’époque, l’ancien footballeur incitait les Français à retirer tout leur argent des banques. La mobilisation n’avait pas suivi, mais l’idée avait marqué les esprits. Aujourd’hui, l’histoire se répète avec des contours différents.
Philippe Crevel, économiste, rappelle que l’impact reste marginal sans mouvement massif. Pour lui, seule une vague de retraits d’épargne, suivie par des millions, inquiéterait vraiment les banques.
La grève à la carte bancaire agit davantage comme un symbole que comme une arme redoutable. Elle illustre un malaise grandissant autour du pouvoir des banques sur les transactions. Elle nourrit aussi un sentiment de reprise de contrôle, même limité, par le consommateur. Dans une époque où tout s’automatise, redonner une place au liquide prend une valeur presque militante. Le geste reste modeste, mais il raconte beaucoup sur l’air du temps.
Derrière la contestation, une mobilisation plus large
Le mouvement « Bloquons tout » ne se réduit pas à l’argent liquide. Il fédère syndicats, collectifs et simples citoyens autour de revendications variées. À Paris, la RATP, des hôpitaux, des éboueurs et même la fonction publique ont déposé des préavis. Pour Lyon, une casserolade s’annonce bruyante, tandis qu’à Nantes et Rennes, des blocages routiers se préparent. À Lille, on préfère l’humour avec un « barbecue revendicatif » pour le « pot de départ » de François Bayrou. Chaque ville invente ses propres formes de protestation, mêlant colère et créativité.
La grève à la carte bancaire trouve sa place dans ce paysage plus vaste. Elle complète d’autres modes d’action, moins spectaculaires mais tout aussi parlants. En refusant un paiement numérique, on se rallie à un mouvement qui veut bousculer la routine. Le liquide, oublié dans les portefeuilles, devient soudain un outil politique. Ce n’est pas une révolution, mais un rappel que chaque geste de consommation peut prendre une autre signification. Et parfois, c’est dans les détails du quotidien que la contestation s’ancre le plus solidement.